Européen

Je suis européen.

C'est ainsi, puisque je suis natif de la France. Je crois aussi, mais est-ce bien sûr ?, être humain.

Mon regard cependant ne peut aller au-delà de l'horizon. Mon imaginaire prend la relève, alimenté par des on-dit dont je ne sais si je peux les croire.

Est-ce donc égoïsme ou égotisme que de n'être pas universel, du seul fait que l'on n'est que soi-même, et souvent un peu moins ?

A défaut qu'un grand destin me concerne, je puis croire que l'avenir soit promis à tel ou tel des caractères auxquels j'appartiens ou me réfère. Je suis peu, mais l'Europe compte !

L'histoire m'a appris avoir été celle des Etats-nations. Je ne me sens pourtant pas nationaliste, et suis prêt à penser que le voisin dont je perçois parfois vivement les différences m'est assez semblable.

Me presse-t'on d'assumer ce que je suis censé être ? Me voilà promu descendant de négriers, d'esclavagistes et autres colons, sans avoir eu un mot à dire, ni même partagé des espérances rapidement devenues illusoires.

J'eus bien un grand-oncle commandant, dont la salle à manger s'ornait de lances, sagaies et autres armes dont l'origine sauvage attestait des exploits africains. J'ai rêvé à entendre parler de boys et serviteurs à l'égard de qui l'humanité consistait à ne pas trop leur en vouloir de leur manque d'éducation (européenne, naturellement). Honte sur moi que ces rêves coupables que je crus innocents.

Me voici donc chargé des fautes que je n'ai eu ni le temps ni le loisir de commettre. 

Mais, après tout, il faut bien assumer l'histoire alors que ceux qui l'ont faite sont morts. Au moins devrais-je avoir le droit de ne pas les honorer. Tout au moins de n'y être pas obligé.

Il faut donc désormais voir un avenir, et l'on m'a souvent dit que s'il n'est conquérant il est rétrograde, dans une sorte de solidarité européenne, alors que je ne sais au juste l'étendue des différences.

Tant pis ! Je suis européen. Alors, j'écoute ceux dont un me dit qu'ils "font" l'Europe. Curieux tout de même. Je pensais qu'elle allait de soi. Faut-il donc "faire" ce qui est ?

Et l'on m'explique la complexité du monde et les entraves à son bonheur.

Au fond, je me croyais heureux par ignorance. Grand progrès que de me découvrir fataliste pour m'épargner de me sentir malheureux.

Suis-je encore français à être européen ? Suis-je encore moi-même à vivre en société ?

On m'explique que oui, on m'explique que non.

Comment donc être lucide dans ce monde où les extra-lucides abondent sans pouvoir s'accorder ?